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Dr Laure Brülhart Bletsas  | Médecin cheffe de service, Département de médecine, Service de rhumatologie

Lombalgies: quand penser à une spondylarthrite ?

Introduction :

La lombalgie et la cervicalgie représentent un problème majeur de santé publique. Elles sont le second motif de consultation en médecine de premier recours, après les infections respiratoires et sont également le pourvoyeur le plus important d’années de vie vécues ajustées au handicape, c'est-à-dire de la perte d’années de vie vécues en bonne santé, devant les maladie cardiovasculaires ou psychiatriques. Seuls une personne sur 10 en moyenne présente une lombalgie spécifique, avec une étiologie identifiée tel qu’une fracture vertébrale (4%), une tumeur ou une métastase (0.7%), une infection (0.01%) ou une spondylarthrite (SpA) (0.3%). Les outils qui nous permettent d’identifier les patients souffrant d’une lombalgie spécifique sont principalement l’anamnèse et l’examen clinique.

La SpA est une maladie inflammatoire chronique dont la lombalgie est l’un des symptômes cardinaux. Son diagnostic est souvent difficile avec un délai qui reste important.  Il est primordial d’identifier précocement les patients souffrant d’une SpA afin de leur offrir une prise en charge spécifique pour soulager leurs symptômes et prévenir les complications de la maladie. En effet, le délai du diagnostic a été non seulement associé à l’activité inflammatoire de la maladie, au pronostic fonctionnel, à la progression des lésions structurelles et à la réponse thérapeutique mais également à l’impact psychologique de la maladie, à la capacité de travail et à la charge économique sur le système de santé(1).

Ainsi, l’objectif de cet article est de revoir les éléments anamnestiques et cliniques qui devrait nous faire évoquer la possibilité d’une SpA ainsi que le bilan à proposer dans ce contexte.

Qu’est-ce qu’une spondylarthrite :

Les SpA regroupent un ensemble de pathologies inflammatoires chroniques (image 1) qui partagent des manifestations cliniques et un terrain génétique, associé avec l’antigène HLA B27. Au niveau musculo-squelettique, les spondylarthrites se caractérisent par une atteinte de l’enthèse, c'est-à-dire de la zone spécifique d’attache d’une structure ligamentaire, tendineuse ou de la capsule articulaire à l’os. On distingue les SpA axiales que sont la spondylarthrite ankylosante (maladie de Bechterew) et la spondylarthrite axiale non radiographie, des SpA dites périphériques, où prédominent les arthrites périphériques, les dactylites et les enthésites. 

La SpA ankylosante a été définie par les critères modifiés de New York en 1984, associant la présence de lombalgies chroniques évoluant depuis 3 mois ou plus, améliorées par l’activité physique, une limitation de mobilité du rachis ou de l’ampliation thoracique et la présence d’une sacroiliite radiologique (grade 2 bilatéral ou grade 3 ou 4 unilatéral)(2). Ces critères identifient toutefois des patients qui ont déjà une atteinte structurelle et donc une présentation avancée de la maladie. L’identification de signes inflammatoires à l’IRM des sacro-iliaques a conduit à un diagnostic plus précoce, avec le concept de SpA axiale « non radiographique », c'est-à-dire des patients présentant une SpA sans les signes typiques de sacroiliite à la radiographie standard.

Environ 10% des patients qui remplissent les critères de classification d’une SpA non radiographique progressent vers une forme radiographique à 2 ans. Les facteurs associés à cette progression sont la présence d’une CRP élevée, des signes inflammatoires à l’IRM, la présence de syndesmoyphtes au bilan radiologique ainsi que la consommation de tabac.

Le groupe de l’ASAS (Assessment of SpondyloArthritis international Society) a publié en 2009 les critères de classification de la SpA axiale (image 2). Ces critères ont été établis dans l’objectif d’identifier une population homogène pour la recherche clinique. Bien qu’il ne s’agisse pas de « critères diagnostic », ils donnent toutefois une bonne image de la pathologie.

Quels sont les éléments à rechercher à l’anamnèse :

  1. Le caractère inflammatoire de la lombalgie

La SpA se caractérise par des lombalgies dites inflammatoires. A nouveau, plusieurs critères ont été établis, notamment les critères de Calin (1977), de Rudwaleit (2006) et les critères de l’ASAS (2009). Typiquement, la lombalgie inflammatoire s’installe progressivement, prédomine le matin, s’accompagne d’une raideur matinale significative (>30minutes) et de réveils nocturnes en 2ème moitié de nuit, les patients étant alors souvent obligés de se lever. L’activité physique améliore les douleurs mais pas le repos. 

  1. Les autres manifestations articulaires

On reconnait les arthrites périphériques, les dactylites et les enthésites.

L’atteinte articulaire périphérique (arthrites) est plutôt mono ou oligoarticulaire, asymétrique, touchant préférentiellement les grosses et moyennes articulations, notamment aux membres inférieurs.

La dactylite, ou « orteil en saucisse » est une tuméfaction de tout un doigt ou un orteil. Bien que non spécifique, lorsqu’elle est présente, la dactylite est très suggestive d’une SpA ou d’une arthrite psoriasique.

Finalement, l’enthésite est une inflammation de la zone d’attache sur l’os d’un tendon, d’un fascia ou d’un ligament. Cliniquement, l’enthésite se caractérise par une douleur élective à la palpation de la zone d’attache sur l’os, parfois accompagnée d’une tuméfaction et rougeur locale. L’atteinte du talon (insertion de l’aponévrose plantaire ou du tendon d’Achilles) est la plus caractéristique. Mais toutes les enthèses peuvent être touchées, notamment au niveau de la cage thoracique.

  1. Les atteintes extra-articulaires

Plus de deux tiers des patients vont présenter des manifestations extra-articulaires.

L’uvéite antérieure est l’atteinte la plus fréquente. Le patient se présente avec un œil rouge, douloureux, associé à une photophobie et parfois à un larmoiement. L’examen clinique peut révéler un hypopion. Une prise en charge rapide est importante pour prévenir l’atteinte visuelle qui peut être irréversible.

L’anamnèse et l’examen clinique recherche également un psoriasis. Notamment, le psoriasis unguéal, l’atteinte des plis (psoriasis inversé) et le psoriasis du cuire chevelu sont associé au risque de développer des manifestations articulaires. Il n’y a pas de corrélation entre la sévérité de l’atteinte cutanée et les manifestations articulaires, une atteinte cutanée minime pouvant être associée à des manifestations articulaires caractéristiques et sévères.

L’atteinte digestive (maladie de Crohn ou RCUH) est fréquente, avec une inflammation de la muqueuse digestive retrouvée chez 20 à 70% des patients dans les études qui ont pratiqué une colonoscopie systématique, sans symptômes gastro-intestinaux. Une colopathie inflammatoire serait à recherche face à une anamnèse de diarrhées, notamment si elle sont associées à la présence de selles hémorragiques et à une perte pondérale.

  1. Autre

Les autres éléments suggestifs d’une spondylarthrite sont l’anamnèse familiale. Un diagnostic de spondylarthrite, de psoriasis, de colopathie inflammatoire ou d’uvéite chez un membre de la famille de 1er ou 2ème degré augmente la probabilité d’une spondylarthrite (rapport de vraisemblance de 6.4).

Finalement, l’anamnèse recherchera encore une réponse favorable aux AINS avec une amélioration de 50% ou plus des douleurs.

Les examens complémentaires

  1. Le bilan sanguin

Face à une suspicion de SpA axiale, le bilan sanguin comprend la recherche d’un syndrome inflammatoire sérique et de l’antigène HLA B27.

La présence d’un syndrome inflammatoire sérique est retrouvée chez environ 40% des patients avec une SpA active. Ainsi, il est important de noter que l’absence de syndrome inflammatoire sérique n’écarte pas le diagnostic de SpA. Une CRP élevée est un facteur de mauvais pronostic, associée au risque de développement/progression des lésions radiographiques et donc de la perte fonctionnelle.

Le HLA B27 est retrouvé chez 75 à 90% des patients, avec une prévalence équivalent dans la SpA radiographique et non radiographique. Il ne permet toutefois pas, à lui seul, de poser un diagnostic de spondylarthrite car il est également présent chez 8% de la population générale. La présence d’un HLA B27 est associée au risque d’uvéite antérieure, à la présence de lésions radiographique et à un âge plus jeune d’apparition des premiers symptômes de la maladie.

  1. L’imagerie :

La radiographie standard du rachis et du bassin permet d’identifier des lésions structurelles comme une sacroiliite ou la présence de syndesmophytes. Toutefois, la radiographie a peu de place dans le diagnostic précoce de la SpA car elle ne montre pas l’activité inflammatoire de la maladie mais seulement ses conséquences sur les structures osseuses. Il s’agit d’un examen irradiant, avec une dose d’environ 1mSv pour un examen du rachis, ce qui reste faible mais est environ 100 fois plus qu’une radiographie du thorax. Finalement, même interprétée par des radiologues expérimentés, la reproductibilité de l’interprétation d’une radiographie du bassin est modérée avec un kappa entre 0.32 et 0.55(3).

L’IRM axiale, notamment des sacroiliaques détecte des lésions inflammatoires avant que les dommages structuraux soient apparent en radiographie standard. La présence d’une sacroiliite active à l’IRM est l’un des critères majeurs pour la classification d’une SpA . Et ainsi, le développement de l’IRM a été une évolution majeure qui a permis de poser des diagnostics précoces de SpA, avant la survenue de lésions structurelles.  La définition d’une « sacroiliite active » a l’IRM découle d’un consensus d’expert(4). La technique d’acquisition des images est importante avec un examen qui doit être dédié, centrés sur les articulations sacroiliaques. L’examen comprend 2 incidences : une coronale oblique et une axiale, avec des séquences en pondération T1 pour la recherche de lésions structurelles, et des séquences STIR (suppression de graisse) pour la recherche des lésions inflammatoires.  L’ajout d’une injection de produit de contraste et l’ajout de séquences sur le rachis dorso-lombaire reste très discutée, augmentant la sensibilité des examens mais au détriment d’une perte de significative de spécificité avec un risque d’excès diagnostic (faux positifs).

Toutefois, si la présence d’une sacroiliite active renforce la probabilité d’une spondylarthrite en cas de forte suspicion clinique, l’IRM ne permet pas de poser un diagnostic de spondylarthrite hors du contexte clinique. En effet, des lésions inflammatoires remplissant les critères de SpA sont retrouvés chez environ 20% des patients qui présentent des lombalgies non spécifiques. Par ailleurs, une proportion non négligeable de sportifs (hockeyeurs, coureurs, etc) et de femme dans la période post partum remplissent également ces critères(5).

Bien qu’irradiant, le CT permet parfois de mieux identifier des lésions structurelles, et peut ainsi être une aide au diagnostic différentiel, notamment entre des lésions inflammatoires ou dégénératives. Le développement de technique de CT faible dose pourrait se révéler intéressant(6). Tant la spécificité (80%) que la sensibilité (50-55%) de la scintigraphie osseuse pour le diagnostic de SpA reste faibles et ainsi cette technique d’imagerie n’est pas recommandée dans ce contexte. Finalement, l’échographie est un bon outil pour évaluer les enthèses. Toutefois sa place dans le diagnostic et la prise en charge de la SpA reste à déterminer.

Qui référer au rhumatologue(7)

La question « est-ce que ce patient pourrait avoir une spondylarthrite » devrait se poser face à tout patient qui présente une lombalgie chronique, évoluant depuis plus de 3 mois et ayant débuté avant l’âge de 45 ans. Dans cette population, les critères pour sélectionner les patients à adresser à un spécialiste doivent être faciles à appliquer en médecine de premier recours, accessibles et avoir une sensibilité suffisante pour ne pas manquer de diagnostic. Un groupe d’expert propose ainsi de référer à un rhumatologue les patients qui présentent des lombalgies chroniques, ayant débuté avant 45 ans et qui ont l’un des critères suivant :

  • Un horaire inflammatoire des douleurs. Seulement 25% des patients avec une SpA n’ont pas de lombalgies inflammatoires. Il s’agit d’un bilan peu couteux et accessible. Une bonne réponse aux AINS est équivalent en terme de probabilité avec un diagnostic de SpA retenu en moyenne chez 1 patient sur 5.
  • Le HLA B27a une sensibilité de 90%. La probabilité post-test du diagnostic est de 32% et ainsi le diagnostic de SpA sera retenu en moyenne chez 1 patient sur 3. Il s’agit également d’un marqueur de mauvais pronostic associé à une maladie plus sévère.
  • La présence d’une sacroiliite à l’imagerie (RX ou IRM). Toutefois, la radiographie est un examen irradiant et peu sensible. Quant à l’IRM, il reste un examen couteux, qui devrait être réservée à des patients avec une probabilité clinique modérée ou élevée. 

Conclusion :

Le diagnostic de spondylarthrite devrait systématiquement être évoqué face à un patient qui présente des lombalgies chroniques, notamment lorsqu’elles ont un horaire inflammatoire et ont débutées avant 45 ans. L’anamnèse et l’examen clinique recherchera alors d’autres manifestations articulaires tel que des arthrites périphériques, des dactylites ou des enthésites, ainsi que des manifestations extra-articulaires comme un psoriasis, une uvéite ou une colopathie inflammatoire. Un horaire inflammatoire des douleurs, une bonne réponse aux AINS, la présence d’un HLA B27 ainsi qu’une sacroiliite à l’imagerie sont des éléments fortement évocateur d’un diagnostic de SpA qui devraient ainsi conduire à une évaluation chez un spécialiste.  

  1. Yi E, Ahuja A, Rajput T, George AT, Park Y. Clinical, Economic, and Humanistic Burden Associated With Delayed Diagnosis of Axial Spondyloarthritis: A Systematic Review. Rheumatol Ther. mars 2020;7(1):65‑87.
  2. Sjef Van der linden, Hans A. Valkenburg, Arnold Cats. Evaluation of diagnostic criteria for ankylosing spondylitis. avr 1984;361‑8.
  3. Lukas C, Cyteval C, Dougados M, Weber U. MRI for diagnosis of axial spondyloarthritis: major advance with critical limitations ‘Not everything that glisters is gold (standard)’. RMD Open. janv 2018;4(1):e000586.
  4. Rudwaleit M, Jurik AG, Hermann K-GA, Landewe R, van der Heijde D, Baraliakos X, et al. Defining active sacroiliitis on magnetic resonance imaging (MRI) for classification of axial spondyloarthritis: a consensual approach by the ASAS/OMERACT MRI group. Annals of the Rheumatic Diseases. 1 oct 2009;68(10):1520‑7.
  5. de Winter J, de Hooge M, van de Sande M, de Jong H, van Hoeven L, de Koning A, et al. Magnetic Resonance Imaging of the Sacroiliac Joints Indicating Sacroiliitis According to the Assessment of SpondyloArthritis international Society Definition in Healthy Individuals, Runners, and Women With Postpartum Back Pain. Arthritis Rheumatol. juill 2018;70(7):1042‑8.
  6. Kucybała I, Urbanik A, Wojciechowski W. Radiologic approach to axial spondyloarthritis: where are we now and where are we heading? Rheumatol Int. oct 2018;38(10):1753‑62.
  7. Sieper J. Early referral recommendations for ankylosing spondylitis (including pre-radiographic and radiographic forms) in primary care. Annals of the Rheumatic Diseases. 1 mai 2005;64(5):659‑63.

IMAGE 1 : Le concept de spondylarthrite | Tirée de la librairie de l’ASAS | IBD : maladie inflammatoire de l’intestin

IMAGE 2 : Critères de classification de la spondylarthrite axiale | Tirée de la librairie de l’ASAS